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Vortex et turbulence de sillage
(Source Info Pilote Octobre
1996)
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On comprend aisément, lorsque l'on navigue sur l'océan, que
le navire ondule, tangue et roule sur les vagues. On perçoit moins
aisément qu'il en est de même dans le ciel.
L'air est fluide, tout comme l'eau, à la nuance près que ses
mouvements sont invisibles. Lorsque l'on me demande pourquoi l'avion bouge,
j'ai l'habitude d'utiliser l'image d'un cours d'eau pour matérialiser
mon propos. Lorsque le fleuve est large et calme, l'eau s'écoule
paisiblement, et le bateau semble glisser sur un miroir. Mais lorsque les
berges se resserrent, que les rapides approchent, l'eau frémit, l'écume
bondit, et le navire ondule - parfois violemment.
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Nous allons nous intéresser aujourd'hui à
un type de turbulence tout à fait particulier, la turbulence
de sillage. Nous allons voir ce qu'il se passe lorsque nous nous trouvons
derrière un autre appareil qui perturbe le fluide dans lequel
nous évoluons. L'air est perturbé, en quelque sorte,
de la même manière que lorsque nous faisons du ski nautique
derrière un hord-bord.
Pour bien appréhender les dangers de ce type de turbulence,
nous allons commencer par en rechercher l'origine aérodynamique.
Nous pourrons ensuite étudier la nature du risque pour enfin
déterminer les actions de prévention qui nous sont offertes.
Origine de la turbulence de sillage. La plus grande partie des perturbations
est due à l'aile de l'avion. Nous savons que son rôle
consiste à générer la portance nécessaire
au vol. Nous savons également (Figure 1) qu'une zone de dépression
apparaît sur la partie supérieure de la voilure (extrados),
alors qu'une zone de surpression apparaît sur la partie inférieure
(intrados).
* Tourbillons marginaux (vortex) : la nature est ainsi faite qu'elle
a horreur du vide... C'est ainsi que l'air "cherche à combler"
la zone de dépression. Il se déplace donc de la zone
de surpression vers la zone de dépression. Le "passage" se
situe en bout d'aile, l'air se trouvant sous l'aile se dirigeant vers
le dessus de la voilure (Fig. 2).
Puisque l'avion se déplace, ce "transfert" se matérialise
par un tourbillon à chaque extrémité d'aile.
Il peut être très puissant (avion gros porteur) et tourne
dans le sens horaire (vu de l'arrière), à l'extrémité
de l'aile gauche, et dans le sens anti-horaire en bout d'aile droite.
A noter, à titre culturel, que ces tourbillons génèrent
une traînée, et donc une consommation de carburant importante.
C'est pourquoi les constructeurs ont mis au point des dispositifs
tels que les winglets, qui sont sensés réduire les effets
de cette perturbation (allongement fictif de la voilure). L'idéal
serait une aile dite infinie (de type annulaire par exemple, telle
que celle étudiée en soufflerie par la Nasa, figure
4), mais on se heurte alors à des difficultés technologiques
et financières, qui n'ont pas permis à ce concept de
voir encore le jour...
* Tourbillons de fuite : étudions maintenant l'écoulement
autour de l'aile. On constate en soufflerie que les filets d'air qui
circulent sur l'extrados ne sont pas parallèles à ceux
qui circulent sur l'intrados (Fig. 5).
Lorsque ces filets d'air se rejoignent au niveau du bord de fuite
de la voilure, les angles décrits par les deux trajectoires
sont tels qu'ils "s'enroulent" l'un autour de l'autre pour former
un tourbillon appelé tourbillon de fuite. L'écoulement
ainsi perturbé forme à l'arrière du bord de fuite
une véritable nappe tourbillonnaire (Fig. 6).
* Turbulence de sillage : l'association des tourbillons marginaux
et des tourbillons de fuite, qui se rejoignent en aval du profil,
donnent naissance à une zone fortement perturbée. Cette
turbulence est appelée turbulence de sillage.
Nature du risque. Dans certains cas rares, le vol à travers
une turbulence de sillage peut entraîner des dommages structuraux
considérables, pouvant aller jusqu'à la destruction
de l'appareil... Cependant, le danger essentiel est constitué
par le mouvement de roulis généré par le vortex
(tourbillon marginal de bout d'aile).
Lorsque le taux de roulis induit par le tourbillon dépasse
le taux de réponse des commandes, l'avion se trouve entraîné
dans un mouvement de roulis incontrôlable par le pilote (Fig.
7). Ce risque est amplifié par le fait que l'on rencontre le
plus souvent ces turbulences au cours des phases d'approche ou de
décollage. L'avion qui les subit est donc plus vulnérable,
en raison de sa faible hauteur et de sa vitesse réduite.
Je garde fortement imprégné en mémoire un film,
visionné lors de mes études aéronautiques, sur
lequel on voyait un Boeing 747 au décollage. Un pylône,
équipé de fumigènes, était placé
en bordure de piste et, peu après le passage de l'appareil,
il était possible de visualiser la trajectoire des tourbillons
marginaux. J'en retiens qu'il est suicidaire de se trouver en avion
dans cette zone. C'est pourtant ce que faisait, dans la suite du document,
un pilote d'essai à bord d'un Beechcraft Bonanza. Juste après
avoir quitté le sol, sans qu'il touche aux commandes, l'avion
effectuait trois tonneaux rapides. Un second essai, avec le manche
braqué au maximum de ses possibilités, lui permettait
de n'effectuer qu'un tonneau et demi. Ces Américains sont fous.
Mais ce film est d'un point de vue pédagogique le meilleur
outil que je connaisse...
En règle générale, le taux de réponse
des commandes est suffisant pour contrer l'effet (moins extrême
que celui d'un 747) du roulis induit par la turbulence de sillage.
Cependant, il est très délicat, voire impossible pour
un appareil de faible envergure (cas des avions légers) de
contrôler ce mouvement puisque la longueur réduite des
ailes ne permet pas aux ailerons d'être à l'extérieur
du cône du vortex.
Il est donc essentiel d'éviter à tout prix les zones
potentiellement dangereuses que nous allons maintenant définir.
Caractéristiques. La turbulence de sillage a certaines caractéristiques
dont la connaissance peut aider le pilote à localiser (et donc
à éviter) les zones de danger.
La turbulence est effective lorsque l'appareil qui la génère
est en vol - au décollage, après la rotation, à
l'atterrissage, avant le toucher des roues (Fig. 8) Lorsque la turbulence
de sillage est générée à proximité
du sol, comme c'est le cas lors des phases de décollage et
d'atterrissage, les tourbillons se déplacent latéralement
en atteignant le sol. Ils s'écartent à une vitesse voisine
de 5 Kt (Fig. 9). Ceci signifie qu'il suffit d'attendre quelques minutes
après le passage d'un appareil pour ne pas subir l'effet de
ses turbulences de sillage.
Attention ! Cela n'est pas aussi simple... Il existe un certain nombre
de situations potentiellement dangereuses : lorsque par exemple la
composante de vent de travers est proche de 5 Kt (entre 3 et 7 Kt).
II y a alors une forte probabilité pour que le tourbillon soit
ramené et maintenu sur l'axe de la piste (Fig. 10). Ou encore
lorsque le vent est "secteur arrière". Les turbulences sont
alors décalées par rapport au point de toucher des roues
ou du point de rotation (Fig. 11).
Nous retiendrons qu'une vigilance toute particulière doit être
apportée aux mouvements des turbulences de sillage lorsque
le vent est faible (3 à 7 Kt) et en particulier lorsqu'il est
orienté trois quarts arrière par rapport à l'axe
de décollage ou d'atterrissage.
Retenons également, pour mémoire, que des expérimentations
en vol ont permis de démontrer que la turbulence de sillage
générée par les avions lourds présente
un taux de descente de l'ordre de 400 à 500 ft/mn, la tendance
étant ensuite une stabilisation à 900 ft sous l'altitude
de vol de l'appareil qui en est à l'origine de la turbulence.
Prévention. Deux types d'actions préventives complémentaires
peuvent être envisagées.
- La première consiste à respecter un espacement matérialisé
par un temps minimal de séparation qui laisse aux turbulences
de sillage le temps de se dissiper. Deux à trois minutes sont
un ordre de grandeur satisfaisant.
- La seconde consiste à adapter sa trajectoire afin d'éviter
les zones potentiellement dangereuses (Fig. 12) :
a) atterrissage derrière un avion "lourd" : si l'appareil précédent
est au décollage, atterrir "avant" son point de rotation. S'il
est à l'atterrissage, atterrir "après" son point de
toucher des roues. Ueillez également à effectuer l'approche
au-dessus ou sur le même plan de descente. En aucun cas, sous
son plan.
b) décollage derrière un avion "lourd" si l'appareil
précédent est au décollage, décoller "avant"
le point de rotation et poursuivre la montée soit au-dessus
de son plan ascendant, soit décalé du côté
du vent (Fig. 13). S'il est à l'atterrissage, décoller
"après" le point de toucher des roues du gros porteur.
La figure 12 est une synthèse des zones potentiellement dangereuses.
Bons vols et gare aux turbulences !
Débriefing. Uoici en guise de débriefing, quelques consignes
qui couvrent certains cas particuliers auxquels on peut parfois être
confronté.
* Approche après l'atterrissage d'un gros porteur sur une piste
parallèle proche :
- évaluer les possibilités d'occurrence de la turbulence
de sillage.
- adopter un plan d'approche supérieur ou égal au sien,
- noter son point de toucher et atterrir: au-delà.
* Intersection de pistes :
- atterrir ou décoller avant l'intersection des pistes.
* Gros porteur effectuant une remise de gaz :
- un intervalle de trois minutes doit être respecté avant
tout atterrissage ou décollage.
Dans tous les cas, il faut tenir compte, lors de l'évaluation
des risques de rencontre des turbulences de sillage, des différents
effets du vent qui peuvent entraîner leur déplacement.
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